L'intelligence artificielle face à la crise de confiance médiatique. Vers une nouvelle grammaire de l’information?
- Olivier Mégean
- 17 juin
- 4 min de lecture

Le Digital News Report 2025 du Reuters Institute, paru aujourd’hui, dresse un portrait inquiétant mais lucide des pratiques médiatiques en France. Confiance en berne, montée des réseaux sociaux, refus de payer pour s’informer et évitement croissant de l’actualité : autant de signaux faibles qui convergent vers un bouleversement structurel. L’intelligence artificielle générative, en pleine percée, se retrouve à la croisée des chemins. Outil d’efficience pour certains, facteur de défiance pour d’autres, elle devra s’insérer dans un écosystème médiatique en mutation, sans aggraver la fracture entre médias et citoyens.
Une fracture de confiance qui semble persistante
Le chiffre est parlant : seuls 32 % des Français déclarent faire confiance à l’information, selon le Baromètre de confiance dans les médias 2025. Ce taux, parmi les plus faibles des pays étudiés, reste stable par rapport à l’année dernière. Un scepticisme qui s’inscrit dans une défiance généralisée envers les institutions, mais aussi dans une remise en question du rôle et de la fiabilité des médias. À l’ère de la surabondance informationnelle, le public devient plus critique – voire méfiant – face aux contenus perçus comme biaisés ou anxiogènes.
L’influence toujours croissante des réseaux sociaux
Le paysage médiatique français connaît une bascule générationnelle majeure.
Les moins de 35 ans s’informent d’abord via YouTube, TikTok ou Instagram. Des créateurs de contenu comme Hugo Travers (HugoDécrypte) atteignent à eux seuls 22 % de cette tranche d’âge ! Cette tendance souligne une double rupture : d’une part, l’effacement progressif des médias traditionnels auprès des jeunes ; d’autre part, la valorisation de formats courts, personnalisés et visuellement attractifs, souvent produits en dehors des circuits journalistiques classiques.
Cette nouvelle grammaire de l’information s’inscrit dans une logique de consommation mobile, rapide, et orientée vers l’engagement émotionnel. Le rôle du journaliste semble changer : il devient animateur de communauté plus que simple relais d’information.
Une information payante qui peine à convaincre
En 2025, seuls 11 % des Français ont payé pour une information en ligne au cours des 12 derniers mois. Le Monde, Le Figaro et Mediapart dominent ce segment, mais peinent à élargir leur base au-delà d’un public déjà convaincu.
L’IA générative, avec ses capacités d’automatisation (résumés, traductions, synthèses), pourrait réduire les coûts de production et permettre aux rédactions d’allouer plus de ressources à l’enquête et à l’analyse. Mais cette logique d’optimisation ne suffira pas à restaurer la valeur perçue de l’information.
Le public attend plus que de l'efficacité : il exige de la fiabilité, de la transparence, et une relation de confiance.
L’évitement de l’actualité : un symptôme qui se développe …
Le chiffre est en hausse : 82 % des Français déclarent ressentir (parfois à très souvent) de la fatigue ou du rejet par rapport à l’actualité. Ce phénomène d’évitement reflète une forme de fatigue informationnelle. Le ton négatif, la répétition des sujets anxiogènes (climat, guerre, politique) et la surcharge cognitive entraînent un repli. Ce recul n’est pas un désintérêt, mais un besoin de protection psychologique.
L’IA pourrait-elle alléger cette charge ?
Oui, si elle est utilisée pour proposer des formats plus digestes, des contenus mieux adaptés au contexte émotionnel des lecteurs, et des parcours personnalisés respectant le rythme et les préférences de chacun. Non, si elle contribue à une uniformisation froide ou à une amplification de contenus générés sans discernement éditorial.
IA générative : atout ou menace pour l’information ?
L’intégration de l’intelligence artificielle dans les processus éditoriaux divise. Les bénéfices sont tangibles : résumés automatiques, détection de tendances, rédaction d’alertes, personnalisation des recommandations. Pourtant, la majorité des Français interrogés se montrent sceptiques. Ils souhaitent que les journalistes gardent la main sur les contenus, et que les usages de l’IA soient transparents.
D’après le Reuters Institute, les lecteurs redoutent que l’automatisation affaiblisse la vérification des faits, déshumanise le traitement de l’actualité, et amplifie les biais algorithmiques. Pour dépasser ces craintes, les médias doivent adopter une démarche claire : informer le public sur les usages de l’IA, encadrer ses limites, et affirmer le rôle irremplaçable du journaliste dans la hiérarchie de l’information.
L’Everest de la presse : bâtir un nouveau contrat de lecture !
L’IA face à la crise de confiance médiatique : amie ou ennemie? L’IA peut être une alliée puissante dans la refonte du lien entre médias et citoyens. Mais elle ne saurait compenser l’érosion de la confiance, la crise du modèle économique, ni la fatigue informationnelle grandissante.
Le défi pour les rédactions est clair : innover sans trahir, simplifier sans appauvrir, personnaliser sans enfermer.
Demain, l’information devra être plus accessible, plus compréhensible, mais aussi plus responsable. L’intelligence artificielle, bien utilisée, peut contribuer à cette ambition. Encore faut-il l’associer à une exigence éditoriale forte, à une éthique partagée, et à une pédagogie continue envers les lecteurs.
Sources :
Digital News Report 2025 – France, Reuters Institute for the Study of Journalism, page 82.