Le second principe de la thermodynamique, énoncé par Rudolf Julius Emmanuel Clausius il y a plus de 170 ans, décrit la transition d’un état donné vers toujours plus de désordre. Ce principe : l’entropie, concerne notre univers numérique tout autant que notre monde réel.
Ainsi, lorsque Sam Altman, le directeur général d’OpenAI a mis en marché ses outils (Dall-e et ChatGPT) à la fin de l’année dernière, il ne se doutait probablement pas qu’il venait de lancer une course frénétique à l’IA qui allait bousculer profondément le monde de la création.
Le premier indice de la révolution a été la réaction tout à fait spectaculaire et inédite des géants du web. Entre la prise de participation de Microsoft (qui a valorisé OpenAI à plusieurs dizaines de milliards de dollars dès le mois de décembre 2022), l’abandon du metaverse par Meta qui avait pourtant tout misé sur cette vision du futur du web (y compris en changeant de nom), et la remise en cause du modèle de Google dans la recherche internet, les réactions ont été rapides, violentes et révélatrices de l’importance de l’onde de choc. Dans la foulée, tous les acteurs mondiaux du web, en occident comme en orient, ont réorienté leurs investissements vers l’intelligence artificielle en général et les IA génératives en particulier.
Aujourd’hui, neuf mois plus tard, le phénomène a pris de l’importance et pose questions quant à l’avenir de la création et des créateurs de contenus pour internet, de la physionomie générale du web et du modèle économique d’un grand nombre d’acteurs des secteurs de la création, de l’information et du divertissement.
La grève des scénaristes américains qui, au-delà de leurs revendications salariales, veulent mettre en place des garde-fous contre l'usage de l'intelligence artificielle qui pourrait être utilisée par les studios pour générer des scripts. En clair, ils craignent de se voir remplacés par ChatGPT.
Dans ce contexte, la notion de droits d’auteurs va-t-elle survivre à ce tsunami ? Que ce soit dans le cas de la photo, de l’écriture, de la musique ou de la vidéo, il semble aujourd’hui que les grands modèles algorithmiques aient très largement été entraînés avec des données aspirées sur le web au mépris de tous droits d’auteurs. Il faut dire que la notion de droit d’auteur est variable d’un continent à l’autre et que le concept du « fair use » américain « rend possible » ces entraînements aux Etats-Unis.
Une fois entraînés, les algorithmes produisent de la musique, des photos, des images et du texte. Ces productions semblent difficilement protégeables au titre du droit d’auteur…. Or, le volume de production des machines est exponentiel. Dans le domaine de la photo et de l’image d’illustration, le moteur de recherche d'images Everypixel a publié un rapport qui donne une estimation des volumes produits par les IA génératives. « Depuis le lancement de DALL-E 2, les internautes génèrent en moyenne 34 millions d'images par jour », écrit Everypixel. Ceci signifie que le volume d’images produit par les machines a d’ores et déjà dépassé les volumes de production humaines.
Dans le domaine de l’écrit, que ce soit pour produire de l’information, des livres ou des pages de blog, les IA génératives sont également à la manoeuvre. Dès le mois de février 2023, plusieurs centaines de livres écrits et illustrés par l’IA générative étaient mis en vente sur Amazon. La production automatisée de contenus écrits qui était, depuis plusieurs années, largement utilisée par des entreprises comme Bloomberg est en passe de révolutionner les médias. L’exemple du groupe Axel Springer, qui, dès le mois de février 2023, annonçait des réductions d’effectif chez Bild et Die Welt, est symptomatique.
Il est indéniable que la surmultiplication des contenus écrits et des photos va considérablement bousculer la physionomie du web. Je vois deux dangers majeurs dans cette évolution : premièrement, nous allons assister à un problème d’identification du vrai. Il va devenir de plus en plus difficile de savoir ce qui est faux ou vrai. Dans ce type de situation, la tendance est de considérer que tout est faux… ou presque. Deuxièmement, la manipulation des masses va devenir encore plus simple et risque de poser, à terme, des problèmes démocratiques.
Alors que les enjeux pour la planète sont de plus en plus prégnants, nous basculons donc dans un monde dans lequel l’information va être de plus en plus décrédibilisée…. Et ce n’est pas un watermark invisible à l’œil nu qui va changer les choses…
Le degré de désorganisation du web ne va cesser d’augmenter. Les entreprises vont s’adapter à cette nouvelle donne. Nous aussi.